Marie Trouhet est Déléguée générale de l’incubateur Les Premières Auvergne-Rhône-Alpes depuis 2013. L’incubateur fait partie du réseau national Les Premières : c’est le réseau des entrepreneures innovantes, qui accompagne les femmes et les équipes mixtes dans la création d’entreprises innovantes. Le quotidien de Marie : piloter un incubateur doté de trois implantations territoriales et soutenant 68 créatrices chaque année.
« Ce métier est un vrai bonheur : cela a du sens d’accompagner des projets et des femmes avec autant de potentiel, avec cette énergie et cette rage de vouloir réussir ».
Je peux témoigner du superbe travail mené par Marie et son équipe car j’ai été moi-même accompagnée par Les premières AURA dans la création de Kairosarium.
Dans cet épisode, vous découvrirez :
- Comment l’équipe permanente et la Gouvernance sont-elles structurées,
- Quels sont les outils de pilotage et les indicateurs du tableau de bord,
- Quel est le modèle économique de l’incubateur,
- Comment l’équipe est-elle managée et quels sont les défis de sa DG,
- Comment l’incubateur communique-t-il,
- Deux exemples d’évènements qui ont cartonné.
La Fiche d’identité des Premières :
Le réseau Les Premières est constitué d’incubateurs régionaux en France métropolitaine et dans les DOM TOM avec un premier incubateur créé à Paris en 2005. Lors de sa création, Les Pionnières ont fait un constat accablant : trop peu de femmes créent des entreprises et trop peu d’entre-elles intègrent des incubateurs d’entreprises.
L’incubateur Lyonnais est créé en 2010 sous l’impulsion de Claire Saddy, qui est actuellement élue du 7ème arrondissement de Lyon, en charge de l’économie, l’entrepreneuriat, et de l’égalité femmes-hommes.
Les chiffres clés :
- La création du 1er incubateur a eu lieu en 2005, à Paris.
- 12 incubateurs créés en France depuis, au Luxembourg, quelques antennes au Maroc, Belgique. L’équipe espère se développer bientôt à Montréal. Ce réseau a un bel impact.
- En 2013, Marie Trouhet devient la 1ère salariée de l’incubateur.
- 13 créatrices accompagnées par an à l’époque à la création.
- 68 créatrices accompagnées à présent chaque année.
- + de 80 créations d’entreprises générées.
- + 340 emplois créés en CDI.
Comment s’organise la gouvernance au sein des Premières AURA ?
Le Bureau :
- C’est une volonté de l’association d’avoir un Bureau mixte.Cela fait partie de l’ADN de l’association. Les Premières font la promotion de cette mixité et se doivent de l’incarner.
- 1 Présidente et 1 Vice-président : pour la mixité mais aussi parce qu’il est important d’avoir un binôme. 1 Trésorière et 1 Secrétaire.
- Le Bureau se réunit idéalement 1 fois par mois.
Le Conseil d’Administration (CA) :
- 8 personnes au CA.
- Des Administrateurs bénévoles avec des degrés d’implication différents, dont beaucoup sont très impliqués. Le souhait est que chaque Administrateur ait une thématique en lien avec ses appétences. Chacun dans l’avenir sera en charge d’une thématique.
« Lorsque l’on est bénévole, il est important de se faire plaisir. »
- Le CA se réunit à minima 2 fois par an. Le souhait est de se réunir 1 fois par trimestre. Des réunions de travail intermédiaires s’organisent pour davantage de souplesse.
- Les réunions se font souvent en conseil restreint: la Présidente ou le Vice-président, la Secrétaire, la Trésorière et 2 Responsables de l’accompagnement.
L’Assemblée Générale (AG) :
- 1 seule AG, au mois de juin. C’est un grand moment pour l’association. C’est un regard porté sur ce qui a été fait, c’est le moment du bilan et c’est aussi une manière de se retrouver, de saluer et de remercier tout le monde. Une cinquante de formations sont assurées tout au long de l’année, le réseau des Premières est important !
- Selon Marie, lors d’une AG il est parfois difficile de revenir sur l’année passée alors que les regards sont déjà tournés vers celle d’après.
« Pour mobiliser les personnes, pour les intéresser, il faut raconter l’histoire de l’incubateur. »
- Il y a de nombreuses choses qui sont faites et qui ne sont pas visibles. L’AG est l’occasion de raconter cette histoire. Il faut mettre en valeur les succès des uns et des autres, avec passion et émotions. Il faut enthousiasmer les personnes pour l’année d’après.
- C’est aussi le moment de remercier les partenaires.
Comment l’équipe permanente est-elle structurée ?
L’équipe permanente
- Elle se compose de 2 personnes: Marie et Camille. Camille est en charge de la partie communication mais elle a un rôle bien plus vaste. Car le travail dans une association suppose la polyvalence. Camille est en relation avec les créatrices, elle aide à mettre en place les programmes et aide beaucoup dans la stratégie.
« On devrait tous avoir un alter ego, quelqu’un avec qui l’on puisse échanger. »
- 1 Responsable des partenariats, Carole.
- 2 personnes chargées de l’accompagnement qui est l’objet principal de l’incubateur : Françoise s’occupe de la partie entrée des projets jusqu’à la sélection. Ghislaine s’occupe de la gestion de l’équipe composée d’une dizaine d’accompagnants, et de la mise en place du programme.
- Marie organise 1 point d’équipe par mois, à l’occasion des comités de sélection avec l’ensemble de l’équipe. S’ajoutent des mini réunions La réunion se déroule pendant 3 à 4h, toute une après-midi, en présentiel.
« Je crois fermement au présentiel : c’est important et efficace. Cela permet de voir la réelle météo de l’équipe ».
- Le présentiel permet de se regarder dans les yeux, de se rencontrer, d’échanger sur les enthousiasmes et aussi sur les points délicats.
- À l’issu des réunions, Marie tient à la formalisationde tout ce qui a pu être dit, pour transmettre l’information sur toute l’activité de l’incubateur.
- En plus de l’accompagnement, l’incubateur s’est donné pour mission de promouvoir la mixité en entreprise, d’animer des conférences, de participer à des salons et d’intervenir dans d’autres structures.
Les stagiaires :
- Les Premières font appel de manière régulière aux stagiaires afin de renforcer l’équipe. Un partenariat a été construit avec l’IAE Lyon dans le cadre du Master 2 « Management et Communication » : chaque année, les étudiants se voient proposer des projets tutorés reposant sur les problématiques réelles de communication des créatrices. Les étudiants se révèlent passionnés par l’incubateur et son dynamisme.
- Pour Marie, il est fondamental d’accueillir des stagiaires pour le dynamisme, le point de vue, la vision de l’entreprenariat.
- La moyenne d’âge des créatrices incubées est aujourd’hui de 32 ans au lieu de 39 ans à la création de l’incubateur. La moyenne d’âge se rajeunit. Beaucoup de jeunes se lancent dans la création d’entreprise.
- L’association fonctionne aussi beaucoup par opportunité, avec des rencontres et des personnes qui se présentent spontanément.
Quels sont les outils utilisés ?
- En 2013, l’objectif de labellisation de l’incubateur a entrainé un processus exigeant, à travers une quarantaine de points d’exigence.
- Cela a conduit à la création d’un CRM (Customer Relationship Management) avec Jean-François Demarre, créateur de Wikipreneur. Un travail de collaboration de 3 mois a permis de développer l’outil le plus adapté au travail d’accompagnement de l’incubateur.
- Il existe aussi le Road Book: c’est un outil restreint où sont référencées toutes les bonnes pratiques. C’est le Road book du chargé d’accompagnement. C’est un point de repère avec les objectifs, les outils utilisés, les grilles d’évaluations. C’est un concentré de 80 pages, réactualisé très fréquemment. C’est un document papier en PDF sur base Word. L’objectif est que ce soit simple à utiliser et à modifier. Une association doit penser à la continuité, au côté pérenne et à la transmission du savoir : « Comment l’équipe peut-elle perdurer et continuer ? ». Marie a privilégié le côté pratique à l’aspect esthétique.
« Nous demandons aux créatrices d’être agiles, il faut qu’on le soit nous-même ».
- Google + Excel
- 1 DropBox
- Le site internet.
Quel est le modèle économique de l’association ?
Il est difficile de se projeter au-delà de 3 ans: Marie a demandé aux partenaires de s’engager sur 3 ans pour faciliter la construction des projets et des programmes. Ça sécurise et évite les pertes d’énergie et de temps dans les montages. Car il est très chronophage de monter des dossiers de subventions.
L’incubateur fonctionne en partie avec de l’auto-financement :
- C’est la contribution de la créatrice, qui matérialise son engagement. Les Premières proposent 1 programme d’accompagnement sur 8 mois, qui va comporter 7 rdv d’accompagnement individuel, 23 ateliers + des ateliers de co-développement + des experts qui interviennent en parallèle.
« Je suis contre le tout gratuit. Un minimum d’engagement est important. »
- L’auto-financement se compose également des revenus liés au lieu d’hébergement: l’association propose un poste de travail à 180 € / mois. C’est un poste de travail tout compris à deux pas de la Part-Dieu dans un espace coworking.
Une 2ème partie des ressources provient des subventions publiques des territoires et de l’État :
- La Région
- La DRDFE: Direction Régionale des Droits de la Femme, qui dépend de l’État et nous soutient dans nos actions.
- La Métropole de Lyon.
- La Caisse des Dépôts et Consignations qui a énormément soutenu l’incubateur au démarrage et lors du lancement des antennes (Grenoble + Clermont-Ferrand).
- PBI création, vient de reprendre une partie de la caisse des dépôts / innovation.
- Il est important d’avoir des acteurs financiers locaux hyper impliqués dans l’innovation. Nous souhaitons travailler au plus près des territoires.
Une 3e partie provient de fonds privés avec le sponsoring et le mécénat :
Les partenaires sont historiques: Fondation Caisse d’Epargne, AG2R, La MAAF, La Mondiale. Beaucoup d’acteurs privés s’engagent et soutiennent l’incubateur depuis le départ.
« Ce serait vraiment intéressant qu’un jour, on arrive à se réunir, en tant que Délégués généraux, pour échanger nos bonnes pratiques et inventer peut-être le modèle économique de demain. Une réunion de nos pairs serait vraiment intéressante pour arriver à progresser là-dessus. »
Les indicateurs :
- Objectif de projets accompagnés, le nombre d’ateliers réalisés.
- Marie suit aussi le nombre d’événements, de rendez-vous incontournables: comme par exemple le salon des entrepreneurs en juin à Lyon, le salon de l’entreprenariat en novembre avec la CCI Lyon Métropole Saint Etienne Roanne. Il est important de les noter pour ne pas se disperser : les évènements phares de l’association rythment l’année.
La capitalisation du savoir :
- Il existe un double rapport d’activité publié une fois par an: 1 classeur détaillé mais « ennuyeux » et un 2ème rapport d’activité : plus ludique, « plus com’ » afin de montrer ce qui s’est passé et ce que l’on a réalisé. Ces rapports permettent à la Présidente de partager son billet d’humeur et de présenter le Conseil d’Administration et toute l’équipe de l’incubateur. Car si chacun voit régulièrement son chargé d’accompagnement, on ne voit pas forcément ce qui se passe pour les autres.
- L’association rédige une newsletter, mais dont les taux d’ouverture ne sont pas au plus haut. L’association réfléchit à une solution, à un autre support. La newsletter paraît normalement une fois par mois, mais il arrive que ce soit plus espacé.
- Des films témoignages sont réalisés : exemple lors de la Funding Week. C’est de l’effectuation.
« On fait avec ce que l’on a, comme Mc Gyver ! On fait nous-même tout ce que l’on peut. On se débrouille. On fait appel aux savoirs faire des bénévoles. »
- Il existe une Chaîne Youtube.
- Des conférences sont organisées. L’oral est important. C’est l’occasion de dire qui l’on est, ce que l’on fait et ce qui se passe au quotidien.
« Il faut apprendre à déléguer : on ne peut pas tout faire et on ne peut pas connaître tous les outils. »
Quels sont les défis de la Déléguée Générale ?
- Dans les mois à venir : le défi majeur est celui de la gestion du temps. C’est un défi aussi bien personnel que professionnel: la gestion et l’optimisation du temps sont des choses extrêmement difficiles à gérer. C’est un métier de passionné dans lequel on ne compte pas son temps.
« Quand on est délégué général, c’est comme les entrepreneurs, je crois que l’on ne décroche jamais ! »
- Mais il faut être efficace et aussi savoir s’économiser. La gestion de l’énergie est en rapport avec le temps que l’on passe dans son métier.
« Quand on manage des gens : il faut de l’enthousiasme et de l’énergie. »
- Il faut gérer les équilibres: se donner des objectifs raisonnables et atteignables.
Ce sont de gros enjeux. Cela passe par la gestion du nombre de personnes que l’on peut accompagner. L’association a déjà fait le pari de fonctionner par promotion et elle y trouve une souplesse inouïe. Mais l’accompagnement individuel peut aussi avoir ses limites. 68 projets accompagné par an, c’est énorme. Et en même temps, il y a plein de choses à faire. La difficulté est d’arriver à se restreindre, d’arriver à être raisonnable pour rester dans le professionnalisme et l’efficacité. L’idée est d’assurer l’efficacité dans la durée et l’autre impératif est l’équilibre financier toujours précaire au sein d’une association.
« Ma façon de piloter est caractérisée par mon relationnel : j’aime les gens, j’aime échanger avec eux. Je suis toujours en contact, en recherche de diversité : pour l’incubateur mais pas uniquement, il y a toujours une expérience qui enrichit. »
Il faut des retours négatifs pour avancer, mais les retours positifs vous donnent de l’énergie pour accomplir le quotidien.
L’exemple de la Funding Week : évènement qui a cartonné
- Cet événement a épuisé les équipes ! 3 jours où tous les acteurs du financement se sont réunis dans 3 lieux différents et ont accueilli 300 personnes. Avec un final à la Tour InCity grâce au partenariat avec la Caisse d’Epargne.
« Lorsque l’on entend : en 3 jours, j’ai avancé comme en 6 mois : il y a un sentiment de bonheur et de travail accompli. »
- Ce type d’opération permet à des femmes et à des équipes mixtes d’avancer sur leurs projets. Cela génère un beau sentiment de plénitude, de contentement. Le bilan : 80% de bonnes choses ont fonctionné pour cet évènement.
- Cet évènement a été le fruit de l’engagement et dule travail de toute une équipe.
« C’est le collectif qui permet d’avancer. Une personne toute seule ne fait pas l’incubateur ».
Quel est l’évènement signature de l’association ?
La soirée impulsion est l’évènement signature, celui qui clôture l’année. Il s’adresse à toutes les personnes qui ont passé le comité de validation et qui sont à différents stades de leur lancement. C’est un beau rendez-vous.
Le mot de la fin ?
« Bravo Claire pour ce que tu fais ! La première fois que j’ai écoute ton podcast, au fur et à mesure, je me disais : qu’est-ce que ça fait du bien d’entendre parler de son travail, de voir d’autres personnes qui ont les mêmes préoccupations, les mêmes difficultés, les mêmes joies. J’ai eu un vrai moment de bonheur et une émotion. Merci de nous donner cette parole. On a vraiment besoin de Kairosarium ! Savoir déléguer, savoir rationaliser son temps ? On ne peut pas tout faire, il faut se faire aider sur des projets, c’est extrêmement important pour atteindre ses objectifs. Et cela se prévoit. »
Comment contacter Marie ?
- Par téléphone, car l’outil fétiche de Marie, c’est son téléphone et son oreillette : appeler l’incubateur au 04 72 72 95...