Aujourd’hui je réponds à une auditrice. Une dirigeante d’entreprise que j’ai accompagnée avec ses équipes.
Bienvenue dans le 8e épisode de la Minute Humaine.
Nous avons tous déjà eu cette impression :
une phrase, un ton, un regard, et soudain… je me sens blessé.
Et si, pourtant, personne n’avait le pouvoir de nous blesser ? C’est cette phrase que je répète souvent que Claire me demande d’expliquer :
“Personne n’a le pouvoir de te blesser.”
Mais attention : ce n’est pas une injonction, ni une négation de la douleur.
C’est une invitation à regarder d’où vient cette blessure,
et à redonner à chacun sa juste responsabilité émotionnelle.
Quelle est La différence entre blesser et se sentir blessé ?
Blesser quelqu’un, c’est vouloir atteindre, faire mal, humilier.
Se sentir blessé, c’est ressentir une douleur intérieure à la suite d’un événement —
mais cette douleur parle de nous, pas de l’autre.
Elle parle d’une trace, d’un souvenir, d’une partie de nous encore sensible.
Ce n’est pas la remarque du collègue, ni le ton du manager,
c’est l’écho intérieur que cela réveille : un manque, une peur, une vieille histoire.
Dans mon jargon d’analyste transactionnel, on appelle cela un élastique. C’est une métaphore qui illustre le fait qu’une situation vécue dans l’instant me ramène dans une situation déjà vécue dans le passé. Et si cette situation du moment est douloureuse, c’est que l’ancienne fut douloureuse et n’a pas encore été soignée, pansée, réparée psychologiquement.
En réalité, l’autre ne crée pas la blessure, il touche une zone déjà fragile. Alors bien sûr cela ne permet pas à dire n’importe quoi et faire n’importe comment. À chacun d’être responsable en veillant à communiquer respectueusement, mais en général une ancienne situation non soignée qui se représente aujourd’hui est exacerbée.
Je vous donne un exemple que Claire a vécu dans une situation professionnelle.
Claire dirige une entreprise et a plusieurs équipes, et dans l’une d’elles, elle est en relation très fréquemment avec Paul. Elle lui dit :
“Ta présentation était claire, mais on peut encore structurer un peu mieux la fin.”
Pour Claire, c’est neutre, constructif avec une intention d’améliorer un point qui selon elle peut faire une différence positive en vue d’acquérir un nouveau marché.
Pour Paul, c’est violent. Il se ferme, il rumine.
Pourquoi ?
Parce que cette remarque vient réveiller une peur ancienne :
celle de ne jamais être à la hauteur.
Ce n’est pas Claire qui l’a blessé.
C’est une part de Paul qui se souvient d’avoir été jugé, dévalorisé. Le milieu de l’entreprise n’est pas prévu pour faire de la thérapie, mais si Paul faisait une démarche thérapeutique, il pourrait découvrir que Claire lorsqu’elle fait sa proposition, ressemble à la première fois où il a vécu cela avec sa mère quand elle l’aidait à faire ses devoirs. L’inconscient de Paul a repéré un ton similaire, un contexte semblable, peut-être même une mimique déjà connue, etc. Qui l’a ramené dans le passé et il se braque. Ce processus est extrêmement rapide et inconscient.
Et quand on comprend ça, on arrête de chercher qui a tort,
pour commencer à se demander ce que cela raconte de nous.
Je vous propose de faire un pas de plus dans la réflexion.
Si personne n’a le pouvoir de me blesser,
alors je n’ai pas non plus le pouvoir de te blesser.
Ça change tout dans les relations professionnelles.
Parce que ça veut dire que je peux parler vrai,
exprimer un fait, une observation, une limite,
sans porter la responsabilité de ta réaction émotionnelle.
De la même manière, tu peux me dire quelque chose de juste et direct,
sans craindre de me heurter.
Chacun reprend la responsabilité de ce qu’il ressent.
Et à partir de là, la communication devient plus claire, plus adulte, plus libre.
Un autre exemple.
Antoine, dirigeant, présente une nouvelle orientation à ses équipes.
Un collaborateur dit :
“Je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure direction.”
Antoine se sent blessé.
Il perçoit cela comme une remise en cause de sa légitimité.
Mais si Antoine intègre cette idée —
personne n’a le pouvoir de me blesser —
il peut accueillir la remarque pour ce qu’elle est :
une opinion, pas une attaque.
Il peut répondre sans se défendre,
écouter sans se contracter. Il peut même explorer ce qui se cache derrière la remarque de son collaborateur, car il y a peut-être un trésor à exploiter pour la nouvelle orientation à donner à l’équipe.
Et le cadre, en face, se sent autorisé à s’exprimer.
À ce moment-là, la parole circule.
L’organisation respire.
Le sens profond
Dire “personne n’a le pouvoir de te blesser”,
ce n’est pas être froid ou indifférent.
C’est au contraire une forme de maturité émotionnelle.
C’est reconnaître que la douleur est une information intérieure,
pas une faute extérieure.
C’est ce qui permet à la relation d’être plus vraie, plus respectueuse,
parce qu’elle repose sur la responsabilité mutuelle, pas sur la peur.
Et c’est aussi ce qui libère la parole :
on n’a plus besoin de marcher sur des œufs pour dire la vérité. Je ne dis pas non plus que le manager peut parler n’importe comment à son collaborateur. Loin de moi cette idée. Car si une personne parle mal à ses équipes, c’est aussi quelque chose qui vient de son passé qui n’est pas réglé.
Parler vrai devient possible —
sans brutalité, sans culpabilité,
simplement avec conscience et bienveillance.
Si deux personnes dans une équipe se prennent souvent le chignon, ils peuvent écouter cet épisode et commencer à se poser des questions au sujet de leur passé, et de ce que les situations actuelles sont en lien avec leur passé.
Dans le carnet de bord, je vous ai préparé des questions pour vous aider à y voir plus clair.
Donc, cet épisode sera une réussite pour moi si tu peux commencer à voir ce que cela veut dire quand je dis
Personne n’a le pouvoir de te blesser.
Et donc tu n’as pas non plus le pouvoir de blesser l’autre.
Et que tu puisses l’expliquer autour de toi.
Ce que nous pouvons faire, en revanche,
c’est nous rencontrer dans la vérité de ce que nous ressentons,
et transformer nos blessures en compréhension.
C’est à mon avis à cela qu’il faille arriver dans les organisations pour bien collaborer, c’est la lucidité sans dureté, et la franchise sans peur. Si tu peux instiller cela, tu auras alors un climat dans ton organisation qui va permettre de performer ensemble.
Et c’est aussi, selon moi, une des voies du leadership humaniste.